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Hajer Atti, penser une ville inclusive avec la neuroarchitecture

Les personnes autistes sont des publics particulièrement impactés par l’environnement architectural et urbain. Dès lors, si ces particularités ne sont pas intégrées lors de la conception du b?timent, l’environnement peut devenir source de stress, de douleur et d’anxiété pour ces personnes. Un aspect qu’Hajer Atti, architecte et doctorante à l’Institut des sciences cognitives, tente de mieux intégrer dans la conception de b?timents en s’appuyant sur un nouveau courant, la neuroarchitecture.


Article du dossier Ville demain, une nouvelle biodiver-Cité ?, publié sur Sciences pour tous


 

Un projet architectural démarre toujours d’un positionnement subjectif ?, affirme Hajer Atti. Dans son cas, ce positionnement l’a amenée, dix ans après avoir obtenu son dipl?me d’architecte, à faire une thèse à l’Institut des sciences cognitives pour mieux intégrer les particularités de l’autisme en architecture.

C’est en 2013, lors de son projet de fin d’étude que sa rencontre avec l’autisme a commencé. Hajer Atti avait alors l’idée de construire un centre pour mieux intégrer les enfants avec des difficultés scolaires. C’est à travers ses recherches et ses visites de centres de prise en charge que la jeune architecte découvre et se sensibilise à la condition des autistes. Avec un constat clair. Qu’il s’agisse de lieux d’accueil, d’h?pitaux, d’espaces de sociabilité ou de logements, les besoins de ces personnes restent trop peu pris en compte dans la conception architecturale.

Ce sont pourtant les personnes les plus impactées par l’environnement architectural. On retrouve par exemple davantage d’atypies de la perception visuelle chez les autistes, que ce soit dans le traitement des informations visuelles, dans la perception des mouvements, des formes ou des couleurs. Certains autistes présentent aussi une forte sensibilité – ou une hyposensibilité – au bruit. Dès lors, si ces particularités ne sont pas intégrées dès la conception du b?timent, l’environnement peut devenir source de stress, de douleur et d’anxiété pour ces personnes.

? mesure qu’Hajer Atti se familiarise à la question de l’inclusion des autistes, la jeune architecte tunisienne réalise aussi la difficulté à prendre en compte les spécificités de l’autisme. Autrement dit, comment intégrer la variabilité du spectre des troubles de l’autisme dans le b?timent ? ? Plus je lisais sur l’autisme, plus je trouvais des difficultés à faire un projet pour des autistes ?, se rappelle-t-elle.

En effet, les architectes sont divisés sur la fa?on de prendre en charge ces personnes. Faut-il privilégier les grands ou les petits espaces, un éclairage direct ou indirect, des couleurs vives ou unies ? ? Souvent, en tant qu’architecte, on se positionne en regardant ce qui a été fait par le passé. Mais pour l’autisme, la variabilité des sympt?mes nous oblige à penser les choses différemment ?, affirme-t-elle.

Se tournant vers la recherche, le déclic est venu lors de sa découverte d’un courant scientifique à la croisée des neurosciences et de l’architecture : la neuro-architecture.

Si nos sens sont la première interface avec le monde extérieur, penser la ville de demain amène à poser la question : comment ressent-on la ville ? C’est justement l’objectif de la neuro-architecture que d’essayer de comprendre ce qui se passe dans notre cerveau lorsqu’on explore un espace architectural.

Une idée née de l’expérience intime vécue par son fondateur, Jonas Salk, connu surtout comme le médecin qui a mis au point du premier vaccin contre la poliomyélite. Alors qu’il était dans l’impasse face à cette maladie, il partit séjourner dans un monastère en Italie. De retour aux ?tats-Unis, le scientifique eut deux révélations : la mise au point du vaccin et à quel point l’architecture et l’atmosphère de la basilique l’aurait aidé à réorganiser ses idées. Il entreprit alors de faire construire un b?timent, en collaborant avec des neuroscientifiques et des architectes, afin de recréer l’expérience qu’il avait vécue en Italie. Aujourd’hui, ce b?timent abrite toujours l’académie de neurosciences pour l’architecture.
 

 si j’ai décidé de reprendre des études et une thèse à 34 ans, c’est parce que c’est un sujet qui me touche profondément d’un point de vue humain, et dans l'idée que ces personnes se sentent mieux dans leur vie


La neuro-architecture a réhabilité l’idée que l’espace architectural peut stimuler la concentration, la productivité, le travail. Les premières études en neuro-architectures ont d’ailleurs été dédiées aux écoles et aux bureaux de travail. Mais il y a aussi eu cette prise de conscience que les architectes pouvaient favoriser le bien-être, voire la santé. Loin d’une logique productiviste, Hajer Atti a été séduite par ce courant et ne cache pas son enthousiasme : ? cette découverte a été incroyable pour moi. Je me disais qu’on allait revenir aux fonctions nobles de l’architectures et remettre l’humain au centre du processus ?.

Inclure les personnes qui vont habiter l’espace, c’est ainsi qu’elle con?oit l’architecture. Une vision qu’elle a embrassé dès ses études d’architecte. Mais en ce qui concerne les autistes, la difficulté est réelle. Comment recueillir le ressenti de personnes autistes, quand elles éprouvent des difficultés à communiquer ? En se tournant plut?t vers les directeurs d’unité, les personnels soignants, on risque de privilégier davantage les aspects pratiques de la prise en charge et la sécurité, des autistes et des personnels, souvent au détriment de leur bien-être déplore-t-elle. ? La sécurité et la protection des personnes est importante, mais le bien-être ne se résume pas à ?a ?.

Au cours de sa thèse, Hajer Atti cherche donc à mettre en relation les variables qui constituent l’espace architectural et le ressenti des personnes autistes qu’elle interroge. Une démarche atypique, alors que les études en neuro-architecture ont souvent davantage concerné les personnes neuro-typiques. Mais la doctorante reste lucide. Dans un espace commun, difficile de proposer une réponse universelle. Chaque solution doit pouvoir s’adapter aux besoins spécifiques des personnes présentant des troubles du spectre autistique, en fonction aussi des fonctions du lieu (h?pital, centre d’accueil, logement…). Ainsi, l’architecte pr?ne plut?t pour des espaces adaptables et modulables par les usagers. Ou l’organisation de différents espaces avec des attributs spécifiques répondant aux particularités de chacune et chacun.

Une fa?on de penser l’architecture qui vise davantage à inclure les besoins des tous dans la fa?on de penser de chacun. Une fa?on aussi pour Hajer Atti de renouer, à travers la thèse, avec son engagement intime en tant qu’architecte : ? si j’ai décidé de reprendre des études et une thèse à 34 ans, c’est parce que c’est un sujet qui me touche profondément d’un point de vue humain et qu’une partie de ces personnes se sentent mieux dans leur vie ?.

[ Sciences pour tous ]

Publié le 3 octobre 2023